LIVRE – "S'adapter", magnifique portrait d'une fratrie face au handicap

S'adapter
Clara Dupont-Monod

2021 – Éditions Stock – 200 pages

« Un jour dans une famille, est né un enfant inadapté. » – C'est le point de départ du dernier roman de Clara Dupont-Monod, S'adapter. S'adapter, c'est ce que chacun des frères et sœur de l'enfant va faire, ce que chacun va devoir faire, essayer de faire. L'auteure leur donne successivement la parole : l'aîné, la cadette, le dernier. Elle donne aussi la parole au théâtre grandiose dans lequel vit cette famille : un village dans les montagnes des Cévennes. Elle fait des pierres ses narratrices, les conteuses des multiples fractures et ajustements provoqués par ce petit être d'apparence inerte et qui se tient « au bord des autres vies, pas complètement intégré à elles, mais y prenant part malgré tout, telle l'ombre au coin d'un tableau, à la fois intruse et volonté du peintre ».

L'aîné – âgé d'une dizaine d'années – se sent très vite responsable de ce frère qu'il faut continuellement protéger : « Avant, il y avait la vie, les autres. Maintenant, il y avait son frère. » Chaque jour commence dès lors par le même rituel. « Il posait sa joue sur celle de l'enfant, émerveillé par cette pâleur si douce, et rester ainsi, dans ce contact immobile, peau contre peau. Il savourait le rebondi crémeux de cette joue et qu'elle soit sans défense, offerte à l'appel d'une caresse, peut-être même offerte rien que pour lui, l'aîné. »

Clara Dupont-Monod décrit les multiples attentions et les efforts déployés par l'aîné pour stimuler les sens de l'enfant dont il aime la douce présence. Il s'attache en particulier à développer son univers sonore et lui donne à entendre les couleurs : « Il lui chuchotait les nuances de vert que le paysage déployait sous ses yeux, le vert amande, le vif, le bronze, le tendre, le scintillant, le strié de jaune, le mat. » 

Loin de la tendresse aimante de l'aîné, la cadette est submergée par la colère et le dégoût. Elle en veut à l'enfant dès sa naissance : « Il aspirait toutes les forces. Celles de ses parents et de son frère aîné. Les premiers affrontaient, le second fusionnait. À elle, il ne restait rien, aucune énergie pour la porter. » Elle trouve un certain réconfort, une « normalité » au contact de sa grand-mère.

Clara Dupont-Monod nous conte avec délicatesse l'évolution des sentiments et des attitudes de l'aîné et de la cadette, leurs réactions à la mort de l'enfant. Sa belle prose se nourrit aussi du rapport de l'homme à son environnement. L'écrivaine célèbre la puissance et la beauté de la nature cévenole qui entoure ses héros. Le village, la montagne, les pierres, la rivière, les arbres soutiennent et imprègnent le récit. Le père va le long du torrent apaiser sa colère. L'aîné est perturbé par le silence urbain.

La troisième partie du roman est consacrée au dernier, né après la mort de l'enfant, né après les drames : « Il consola ses parents ». Elle est peut-être la plus forte, la plus touchante. La force du lien que le dernier lie avec son frère mort émeut : « Il lui manquait – ce qui était un comble, pensait-il, alors que je ne l'ai pas connu. Il aurait tant aimé l'avoir vu, humé, touché, rien qu'une fois. Alors il aurait été à égalité avec les autres membres de sa famille et il aurait assouvi cet intérêt, profond, sincère, qu'il ressentait pour l'enfant. »   

Inspiré d'éléments autobiographiques, ce court roman (moins de 200 pages) est à la fois bouleversant et apaisé. Les trois témoignages de la fratrie s'assemblent en une fresque riche et complexe sur la vie cisaillée de cette famille et sur la capacité de chacun à rester debout face à l'inattendu, l'inexplicable.